Les Bhotias de Nar-Phu au Népal
Contrairement
aux autres peuples montagnards du Népal, tels les Magar,
Limbu, Gurung et Tamang, qui intègrent de plus en plus à leur
culture des éléments de la culture hindouiste majoritaire,
les Bhotia restent tibétains, tant dans leurs croyances
que dans leur manière d'être et de vivre. Les ancêtres
des Bhotia menaient une vie nomade sur
le vaste plateau tibétain avant de se fixer au Népal.
Ils ont pour la plupart conservé l'essentiel de
ce mode de vie.
Au
nord de l'Annapurna, à environ vingt kilomètres
de la frontière tibétaine, bien au-dessus de la
limite supérieure des arbres, les vallées de la
Nar et de la Phu abritent des communautés typiquement
bhotia, vivant de culture, d'élevage et de commerce. Windsor
Chorlton (1982) ainsi que les professeurs Christophe
von Fürer Haimendorf et Charlotte Hardman, sont allés à la
rencontre de ces Bhotia afin de décrire leur genre de
vie. Les rares voyageurs qui s'aventurent dans cette région reculée du Népal semblent d'avis que le mode de vie de ces Bhotia aurait bien peu changé depuis.
Les
toits de Nar-Phu
Dans les hautes vallées transhimalayennes,
les maisons bhotia, semblables à des cubes, s'entassent
les unes sur les autres sur les pentes dominant le fond
des vallées réservées aux cultures.
En pierres, avec des fenêtres minuscules, elles ont
pour caractéristique leurs toits plats.
Dans les vallées de Nar
et de Phu, la vie quotidienne se déroule en grande partie sur
ces toits exposés au soleil, et donc bien plus confortables
que les pièces froides, sombres et enfumées
des maisons qui n'offrent un confort véritable que par temps
froid et durant les tempêtes de neige. S'interpellant
d'un toit à l'autre, les villageoises et les villageois
s'y installent pour filer la laine ou préparer le
beurre en bavardant ou simplement surveiller le va-et-vient dans les
ruelles étroites du village. Ils s'y regroupent
enfin pour échanger les dernières nouvelles.
Au rythme des saisons
Au printemps, les habitants de ces hautes
vallées réparent les canaux d'irrigation et les
murets séparant les champs avant de les ensemencer. L'été,
plusieurs quittent les villages pour accompagner leurs troupeaux
de chèvres, de moutons et de yacks dans les hauts pâturages.
L'automne, ils récoltent. L'hiver, ils font du commerce
avec les gens du sud. Les conditions naturelles et climatiques
sont telles que personne ne peut y vivre uniquement d'agriculture
et d'élevage. Ils vendent du beurre, du fromage et des
yacks pour l'abbatage afin d'acheter du blé et du sarrasin.
C'est uniquement de cette façon que chaque famille pourra
survivre jusqu'à la prochaine récolte. Les Bhotia sont individualistes : leur organisation
sociale repose sur la cellule familiale regroupant tous ceux
et celles qui vivent à partir des mêmes ressources.
Les familles coopèrent toutefois au temps des semailles
et de la récolte.
Des enfants productifs
Les enfants sont mis à contribution
dès leur jeune âge. Le portage étant la responsabilté des
femmes, les fillettes doivent aller chercher l'eau pour
les besoins quotidiens. Les garçons et les filles gardent
les chèvres et les moutons dans les pâturages à proximité des
villages. Vers l'âge de 10 ans, les garçons commencent à accompagner
leur père dans les hauts pâturages et apprennent à garder,
charger et conduire les yacks de pâturage en pâturage.
Les filles apprennent à préparer la tsampa (farine
d'orge grillée), à fabriquer la bière locale, à tisser
vêtements et couvertures et à traire les naks (femelle
du yack).
Le yack, l'animal à tout
faire
Comme partout ailleurs dans le haut
Himalaya, le yack est
ici l'animal de survie. Il fournit le lait, la viande,
le combustible, le vêtement et sert de moyen de transport
pour aller vendre les excédents au marché.
Avec la toison, on fabrique des vêtements, des tentes
et des cordes. Avec son lait, on fabrique le beurre et
le fromage. Le beurre est ajouté au thé salé,
qui avec la tsampa, constituent l'alimentation de base
de la famille. La bouse sert à alimenter le foyer.
Le yack est un animal fort et endurant. Il marche toute
la journée sans jamais ralentir sur des sentiers
montagneux à peine plus larges que lui. Il traverse
des torrents et fait son chemin dans la neige, même
profonde. Le métier d'éleveur de yacks est
l'un des plus difficiles qui soit en Himalaya et les Bhotias
retirent une grande fierté à l'exercer.
Les croyances
religieuses
Les Bhotia, vivant isolés
dans un milieu naturel gigantesque échappant à tout
contrôle humain, croient que la maladie et les calamités
sont causées par des êtres d'un autre monde
qu'il est possible d'influencer à leur avantage.
Leur pratique religieuse est bien différente de celle qui a cours dans les grands monastères
où des moines instruits mettent l'essentiel de leur
temps à méditer sur les concepts et les dogmes
du bouddhisme
tibétain.
Le bouddhisme des Bhotia est plus pragmatique. Ils sont
guidés par des lamas qui, lorsque la maladie se
présente, se prêtent à de longues séances
d'exorcisme en faisant appel à des rituels ayant
pour but de chasser les esprits mauvais. Ainsi, les Bhotia
de Nar-Phu arrivent-t-ils à vivre dans une relative
sécurité dans un milieu qui n'en offre à vrai
dire aucune !
Les funérailles célestes
Les Bhotia craignent l'esprit du mort
qui persisterait à demeurer encore quelque temps dans
la dépouille. Aussi, préfèrent-ils détruire
complètement les cadavres. Les enfants sont simplement
enterrés. La dépouille de l'adulte est placée
dans la hotte d'un porteur. Les membres de la famille, accompagnés
de quelques hommes du village et d'un lama, suivent le corps
en procession jusqu'au lieu de l'inhumation, souvent un rocher à découvert.
Incantations et chants accompagnés de coups de tambourin
et de trompettes ponctuent la cérémonie. Windsor
Chorlton a même assisté à des « funérailles
célestes ». Le corps, dépecé,
est donné en pâture aux vautours tandis que les
hommes du village restent en retrait pour surveiller l'arrivée
des charognards. S'ils ne viennent pas, les restes sont enterrés.
Cette coutume, plus rare de nos jours au Népal, serait encore pratiquée dans les anciennes provinces tibétaines intégrées aux provinces chinoises du Yunan et du Sichouan.
Crédits photo
© Nick Weeler