Tibet ethnique
Considérons d'abord le
Tibet ethnique, historique disent certains, c'est-à-dire celui qui correspond aux frontières
d'avant l'annexion chinoise, et qui est considéré par les Tibétains comme leur territoire ancestral.
Au nord-ouest, le Changtang représente
quelque 430 000 km² de hauts plateaux, de lacs et de
chaînes montagneuses. Certaines zones y sont qualifiées
de plus effroyables déserts du globe. Peu peuplée,
cette région est le domaine des nomades.
Nomades au Changtang
À l'ouest, le Ngari,
une contrée plus clémente, recèle deux grands
lieux sacrés : le mont Kailash et le lac Manasarovar.
Les bouddhistes viennent y faire la kora, un grand pèlerinage
s'étirant sur plusieurs jours.
Au
nord-est, l'Amdo du Tibet historique regroupe des régions plus verdoyantes où alternent
sommets, zones marécageuses et hauts plateaux. Habité par les redoutables Ngologs, qui pratiquaient jadis le brigandage en pillant les caravanes et rançonnant les pèlerins et marchands pénétrant sur leur territoire, l'Amdo a toujours été un noyau de résistance à tout pouvoir central. Tout comme le Kham.
Au sud-est, le Kham du Tibet historique bénéficie
de la mousson : chaînes de montagnes, forêts,
plateaux herbeux, hautes vallées et grands fleuves s'y succèdent. Le Kham, parcouru par des tribus nomades, comporte aussi des zones
de cultures parsemées de fermes-forteresses. C'est le pays des fiers cavaliers khampas, des « brigands-gentilhommes », comme les désignait Alexandra David-Néel, qui se sont souvent
opposés dans le passé au pouvoir de Lhassa et qui ont farouchement résisté aux envahisseurs chinois par des actions de guérilla.
Au
sud enfin, traversé par le Yarlung Tsampo (Brahmapoutre),
le Ü et
le Tsang regroupés
constituent la région-mère du Tibet, ou Tibet central.
Cette région jouit de conditions climatiques plus favorables
et l'agriculture y est relativement prospère. C'est dans cette
région qu'émergèrent les villes de Shygatse,
de Gyantse et de Lhassa, devenue capitale après la construction, au
XVIIe siècle, du Potala, palais-forteresse et cité monastique
abritant le centre administratif et religieux du pays.
Région autonome du Tibet
Pour mieux asseoir son autorité sur la région après l'annexion et rendre tout retour en arrière difficilement envisageable, le régime chinois a amputé le Tibet de l'Amdo et d'une large partie du Kham, pour les intégrer aux provinces chinoises adjacentes : Qinghaï, Sichuan, Gansu et Yunnan. Ce nouveau Tibet a été désigné Xizang ou Région autonome du Tibet. Du coup, la population du Tibet (RAT) est passée de 6 millions à 2 millions d'habitants.
Les Chinois ont, d'autre part, mis en place une politique de transfert de population composée de Han, l'ethnie majoritaire en Chine, ayant pour effet de « coloniser » le Tibet, surtout le Tibet central, et à terme, de rendre les Tibétains minoritaires sur leur territoire ancestral.
Influence chinoise
La
colonisation chinoise s'est surtout cantonnée jusqu'à récemment
dans les plus grandes villes. À part quelques enclaves restées tibétaines autour des grands monastères, Lhassa est désormais une ville chinoise. Les Hans y sont majoritaires. Autour des centres urbains vit une population tibétaine agricole pratiquant l'élevage
de yacks, de moutons et de chèvres ainsi que la culture de l'orge, du blé et de
diverses variétés de légumes.
Le Potala | Ancien palais du Dalaï Lama à Lhassa
Jadis militaires, commerçants et artisans, les Chinois commencent néanmoins à s'établir
dans les basses vallées pour y cultiver la terre. À la différence des
Tibétains de souche, leurs cultures portent le sceau du
modernisme : outillages
mécanisés, cultures de légumes sous serres.
Les hautes vallées reculées, particulièrement dans les anciennes provinces du Kham et de l'Amdo, sont par ailleurs restées tibétaines.
C'est là, écrit Élise Blanchard (2002), où « semble s'être maintenue au mieux la société tibétaine : la fidélité à la langue, la persistance du mode de vie traditionnel, le maintien des pratiques religieuses et des traditions artistiques ». Les Chinois y ont stationné des troupes pour surveiller la population et contrôler
la croissance des monastères, qu'ils considèrent, à raison sans doute,
comme des foyers de résistance.
Si l'Amdo et le Kham ne figurent plus sur les cartes chinoises, le caractère artificiel de ce découpage est en effet apparu on ne peut plus manifeste lors des émeutes de Lhassa en 2008, alors que ces régions tibétaines, intégrées de force aux provinces chinoises, se sont embrasées à la vitesse de l'éclair. Les manifestations y ont été nombreuses et la répression a été violente. Preuve, s'il en est une, que plusieurs décennies d'oppression du régime chinois ne sont pas parvenues à détruire l'âme tibétaine.
Modes de vie
La
société tibétaine s'articule autour de deux
modes de vie complémentaires, celui des rongpas et
celui des drokpas, ou ceux des vallées et ceux des hauts plateaux. Les premiers, sédentaires, sont cultivateurs.
Les seconds, nomades ou semi-nomades, vivent de l'élevage
du yack, du mouton et de la chèvre, sur les hauts plateaux
du Changtang notamment. Ils échangent beurre, fromage et
laine contre de l'orge et quelques variétés de légumes
cultivés par les agriculteurs sédentaires.
Le bouddhisme tantrique constitue le troisième axe sur lequel repose l'organisation sociale du Tibet. Les gompas (monastères) y sont omniprésents et leur rayonnement est indubitable. La vie civile et la vie religieuse y sont intimement liées. Les moines, soutenus par la population, veillent au bien-être des familles en accomplissant des rites ayant pour but de protéger les récoltes et les troupeaux. Ils instruisent les enfants dont bon nombre viendront joindre les rangs des communautés monastiques. Ils organisent les grandes fêtes religieuses auxquelles participent les familles, autant d'occasions pour célébrer les mystères et les saints bouddhistes, raffermir la foi et cimenter le tissu des relations sociales.
Efforts de modernisation
L'annexion
du Tibet par la Chine a donné lieu aux pires atrocités.
Toutefois, elle n'a pas eu que des effets négatifs. Des écoles
ont été construites de même que des hôpitaux. À l'exception
des monastères, qui dispensaient un enseignement essentiellement
religieux, il n'y avait à toutes fins pratiques pas d'écoles
au Tibet. Il n'y avait pas non plus d'hôpitaux véritables.
On y pratiquait la médecine traditionnelle. Des infrastructures
urbaines ont été mises en place pour améliorer
les conditions de vie et favoriser le développement.
Quant
aux questions environnementales, la Chine semble avoir compris
l'importance de s'attaquer au problème de la déforestation
qu'elle a elle-même provoqué. Des programmes de reboisement
ont été mis en oeuvre et des réserves naturelles
ont été créées, notamment au Changtang.
Malgré les
affirmations du Service d'information du Gouvernement du Tibet en
exil, niant que des progrès significatifs aient été réalisés
au Tibet sous l'autorité des Chinois, Lewis M. Simons (2002),
a pu y constater récemment la naissance d'une classe moyenne.
L'influence de la modernité atteindrait même certaines
régions éloignées. Considérant qu'avant
l'arrivée des Chinois, le Tibet était une société quasi-féodale dirigé par les religieux,
certains gains sont donc indéniables. Mais les Tibétains
semblent d'avis que l'assimilation qui les menace représente
un prix trop élevé à payer en contrepartie.
Sinisation du Tibet
La
détermination et le courage légendaires des Tibétains
continuent, malgré l'adversité, à s'exprimer
par la voix de leur chef spirituel en exil, le Dalaï Lama,
qui se dit prêt à négocier une autonomie
pour son pays associée à une reconnaissance de
l'autorité de la Chine en matière d'affaires extérieures
et militaires. Cette proposition ne fait cependant pas l'unanimité au
sein des élites tibétaines. La jeunesse tibétaine, faisant le constat que la « voie médiane » préconisée par le Dalaï Lama n'a pas à ce jour donné les résultats escomptés, milite de plus en plus pour l'indépendance du Tibet. Pendant ce temps, la
Chine poursuit sa politique de colonisation... et les enfants
tibétains au Tibet central parlent de plus en plus la
langue chinoise... !
Tibet the Story of a
Tragedy
Documentaire produit par France
3 illustrant les anciennes coutumes tibétaines et relatant l'annexion du Tibet
par la Chine à l'aide
de bandes d'actualités filmées, (55:43).
Page complémentaire
L'avenir
du Tibet
L'influence du Tibet
Le
Tibet a exercé une influence énorme dans la région
himalayenne. Tandis que sa culture a essaimé partout dans
le haut Himalaya et est encore bien vivante au Népal, au
Bhoutan, de même qu'au Sikkim, au Ladakh, au Zanskar et dans
d'autres régions du nord de l'Inde (Spiti, Lahaul et Kinnaur),
aujourd'hui, paradoxalement, la mère-patrie est menacée
de sinisation.
Le Tibet est-il chinois ?
Le
Tibet a connu, au cours de son histoire, de longues périodes
de divisions internes. Les puissantes sectes religieuses ont souvent
rivalisé entre elles pour accroître leur pouvoir.
La théocratie tibétaine aurait même demandé l'aide
de l'Empire chinois pour consolider son pouvoir. Au début
du XVIe siècle, sous l'Empire Mandchou, le Tibet aurait
même constitué un protectorat chinois. La révolution
chinoise de 1911 a compromis l'autorité des Mandchous à Lhassa.
Le XIIIe Dalaï-Lama s'empressa de réaffirmer lindépendance
du Tibet et chassa les Chinois hors des frontières.
Les
autorités chinoises prétendent que le Tibet fait
partie intégrante de la Chine depuis le XIIIe siècle
sous la dynastie mongole des Yuan. Cette prétention n'aurait
aucun fondement historique. En effet, des tibétologues imminents
reconnus mondialement affirment, dans « Le Tibet est-il
chinois ? » (2002), que la Chronique des Yuan, un document
historique officiel, ne fait nullement figurer le Tibet parmi les
possessions chinoises.
Plus
récemment, l’éminent historien Ge Jiangxiong,
Directeur de l’Institut de géographie historique et
du Centre de recherches pour les études d’histoire
et de géographie de l’Université Fudan
de Shanghaï, affirmait dans un article paru dans le China
Review Magazine que prétendre que le Tibet a toujours
fait partie de la Chine est un mensonge historique. Sous la dynastie
Tang, du VIIe au Xe siècle, le plateau Qinghai-Tibet était
gouverné de façon indépendante par des monarques
Tubo/Tufan, rappelle Ge Jiangxiong.
Ce
n’est que sous la dynastie mandchoue des Qing, au cours du
XVIIème siècle, que s’exprima véritablement
la prétention impériale à la souveraineté sur
le plateau tibétain. Toutefois, en 1912, lors de la création
de la République de Chine, l'entité géographique « Chine » (Zonghhuo)
n’était pas précisément définie
sur le plan territorial et se référait tantôt à l’empire
Qing, tantôt aux « dix-huit provinces intérieures »,
excluant la Mandchourie, la Mongolie, le Turkestan occidental (Xinjiang)
et le Tibet.
La « libération » du Tibet !
En
1950, lArmée populaire de libération marche
sur le Tibet oriental. À Lhassa, il faut faire vite. Le
XIVe Dalaï-Lama est intronisé à 16 ans. La Chine
justifie ainsi son intervention : le Tibet est un pays féodal
où règne le servage ; les moyens de production
appartiennent à une petite noblesse et aux sectes religieuses,
doù la nécessité de libérer ce
peuple asservi. Il est urgent que le Tibet réintègre
la mère-patrie. Mal préparés, les Tibétains
ne peuvent lutter efficacement contre cette invasion. Larmée
chinoise entre à Lhassa sans difficulté en 1951.
Les réfugiés tibétains
En
1959, craignant le pire, les conseillers du Dalaï-Lama lui
demande de fuir le pays. Déguisé en soldat, il prend
le chemin de l'exil. Environ 100 000 Tibétains imiteront
son geste au cours des années suivantes. L'Inde propose
au Dalaï Lama de s'installer à Dharamsala. Un Gouvernement
du Tibet en exil y est mis en place. Il se donne pour mission de
sauvegarder les traditions religieuses et culturelles tibétaines
et de défendre la cause du Tibet sur les tribunes internationales.
En mettant sur pied des écoles, un Centre d'archives, un
Institut de médecine traditionnelle et d'astrologie, un
Centre d'arts tibétains, Dharamsala est devenu le centre
pour le maintien de l'identité culturelle tibétaine.
Aujourd'hui, on estime à 130 000 les réfugiés
tibétains en exil dont 100 000 en Inde. Le Népal,
le Bhoutan, la Suisse, les États-Unis, le Canada et la France
ont aussi accueilli de nombreux réfugiés tibétains.
Le transfert de population
Réalisant
que la cause tibétaine jouissait d'un support de plus en
plus important sur la scène internationale, les chinois
préconisèrent de mettre de lavant une politique
de transfert de population chinoise au Tibet afin de modifier radicalement
le rapport de forces. A quoi servira une opinion internationale
favorable au Tibet si celui-ci se retrouve irrémédiablement
transformé sans retour possible en arrière ? Et à moyen
terme, la nouvelle génération de Tibétains,
moins influencée par la religion, ne va-t-elle pas reconnaître
les bienfaits de lintégration du Tibet au territoire
national ? Le temps jouera en faveur de la Chine dautant
plus que laxe États Unis, Europe, Japon ne semble
pas désireux de recourir aux sanctions pour infléchir
la politique chinoise. Telle fut la stratégie chinoise pour
contrer l'action du Gouvernement du Tibet en exil. Ce plan a bien fonctionné. Malgré l'histoire, la communauté internationale ne conteste plus l'appartenance du Tibet à la Chine, devant la montée en puissance de cette dernière. L'Occident appuie toutefois les revendications du Dalaï-Lama pour une plus grande souveraineté culturelle du Tibet historique à l'intérieur de la Chine.
La question du Tibet
La
situation du Tibet soulève des questions majeures :
liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes,
menace de disparition d'une culture unique, occupation d'un pays
sous prétexte de sa libération, respect des droits
de l'homme.
La
révolution culturelle chinoise, qui a balayé toute
la Chine, a eu au Tibet des conséquences terribles en s'attaquant
notamment aux élites du pays. Des milliers de Tibétains,
parmi lesquels de nombreux moines bouddhistes, ont été torturés,
emprisonnés et exécutés. De nombreux
monastères ont été détruits. Après
la mort de Mao Zedong, la Chine a quelque peu assoupli sa politique
vis-à-vis le Tibet, en poursuivant toutefois ses efforts
de colonisation.
Malgré les
efforts du Gouvernement du Tibet en exil et des nombreux intervenants
sur la scène internationale appelant la Chine à négocier
un statut particulier pour le Tibet, les Chinois demeurent inflexibles
sur la question du Tibet.
Carte géographique
Carte du Tibet historique et actuel
Lecture
Laurent Deshayes :
Histoire du Tibet, Fayard, 1997.
Pierre-Antoine Donnet :
Tibet mort ou vif, Gallimard, 1990.
Françoise Pommaret :
Le Tibet - Une civilisation blessée, Gallimard,
2002.
Anne-Marie Blondeau, Katia Buffetrille :
Le Tibet est-il chinois ?, Albin
Michel.
Crédits photo
© Alain Chenevière (en haut)
© Richard L'Anson (en bas)