Il est 6h00. Routine habituelle. Il y a des gaufres au petit déjeuner ce matin. Pierre, dont la générosité ne se dément pas, fait circuler son pot de sirop dérable autour de la table. Un pur délice. Aujourdhui, létape sera courte mais intense, altitude oblige. Comme à tous les matins et à tous les soirs, les Sherpas apportent leau bouillie. Nous remplissons nos gourdes à ras bord. En haute altitude, il faut boire au moins trois litres deau par jour pour combattre la déshydratation et faciliter du même coup lacclimatation.
Nous montons à travers une forêt de rhododendrons. La montée est abrupte. Dans leffort, le groupe sest dispersé. Je nentends que le vent et les pas de Ang Babu Sherpa, qui monte derrière moi. Je marrête pour me reposer, il sarrête aussi. Prêt à repartir, il mapporte mon sac à dos et maide à lenfiler. Je dois charger un nouveau film dans ma caméra, il tient mes bâtons pour que je sois plus à laise. Mon ange gardien doit en frémir de jalousie ! Tant pis... il n'est pas d'un grand secours par les temps qui courent ! J'essaie de communiquer avec Ang Babu. Je ne parle pas le sherpa-ka ni le nepali. Ang Babu connaît peu l'anglais. Je regrette de ne pas avoir fait l'effort d'apprendre quelques rudiments de ces langues.
Le sentier traverse Tengba (Tongba) et Gyele. En chemin, les vues sur le Khumbila (5 761 m) et le Taboche sont superbes. Nous arrivons enfin à Dole après quatre heures de marche. Quelques coéquipiers sont déjà là. Lendroit est magnifique : pâturages sur fond de montagnes enneigées et vue exceptionnelle sur le Kangtega (6 799 m) et le Thamserku (6 608 m). Les tentes sont montées dans un petit pré mais nos bagages n'y sont pas encore.
La kharka de Dole
En contrebas, une petite rivière, cachée derrière des bosquets, offre un endroit parfait pour se refaire une beauté et raffraîchir nos effets personnels. Aujourdhui sera jour de nettoyage, lavage, brossage, séchage, rasage. L'eau est froide. Je fige. J'irai à la hauteur des genoux. pour m'y asseoir. De toute façon, la rivière n'est pas assez profonde pour y plonger. La belle excuse ! Cest la course contre la montre. La serviette est inutile, le vent sèche à mesure mes chairs de poule. Quelle belle sensation tout de même de se sentir propre. Jarrive en retard au déjeuner, mais propre comme un sou neuf.
Après la sieste, Babu, me voyant mactiver autour du camp, vient prendre de mes nouvelles. Il est heureux que je sois rétabli. Les Sherpas, malgré une certaine timidité, attribuable en partie à la barrière du langage, sont très chaleureux. Héros plusieurs fois vainqueur de l'Everest, non seulement Babu témoigne-t-il par l'attention qu'il porte à chacun et à toutes choses, de son souci constant pour que ce trek réponde à nos attentes, mais il semble prendre un réel plaisir à nous accompagner. Ce grand petit homme est épatant de simplicité malgré la réputation exceptionnelle dont il jouit dans le monde du mountaineering. J'éprouve déjà beaucoup d'admiration pour ce Sherpa.
Au milieu de laprès-midi, nous commençons à nous inquiéter de Philippe, qui n'est pas rentré au camp et qui ne s'est certainement pas attardé en route durant tout ce temps. Ce que nous avions d'abord crû. Deux trekkeurs viennent nous informer quils ont aperçu quelquun dans la montagne surplombant Dole. Ce ne peut être que Philippe. Quelques coéquipiers partent à sa recherche et le trouvent grelottant de froid. Ils lui refilent quelques vêtements chauds et, sans perdre un instant, amorcent la descente. Philippe arrive au camp mal en point. Le teint blafard, il tremble de tous ses membres. Tandis que Babu lui massent vigoureusement les pieds, Pascal panse ses égratignures et écorchures. Philippe s'en tire plutôt bien mais ses doigts resteront engourdis longtemps.
Excursion sur les hauteurs de Dole
Premier arrivé à Dole par ce temps magnifique, Philippe est impressionné par une paroi assez abrupte qui ne semble pas présenter de difficultés particulières toutefois. Il décide d'aller y faire un tour en attendant l'arrivée des coéquipiers. Grimpant sur le roc, il progresse rapidement. En hauteur, c'est venteux et froid. Réalisant qu'il n'est pas suffisamment habillé pour affronter ce froid, il amorce la descente par une voie plus directe afin de gagner du temps. La descente s'avère lente et difficile. Il prend conscience du danger. Il était temps que les coéquipiers arrivent.
Beaucoup plus tard, Philippe me dira qu'il a eu peur de l'issue de cette mésaventure. Sinterrogeant sur cet événement, il cherchait à comprendre pourquoi il s'était lancé un tel défi, faisant fi de tout bon sens.
Les nuages recouvrent la vallée. Il vente et il fait froid. Cest lheure du thé, du chocolat chaud et des biscuits. Nous étirons le temps en parlant de tout et de rien jusquau dîner. On nous sert des momos, sorte de ravioli à la tibétaine.
Après le dîner, Philippe, qui contrairement à son habitude, est resté bien silencieux ce soir, tient à sexcuser pour linquiétude quil a pu causer au sein du groupe. Le message est clair. La montagne peut être sans merci pour celui qui sy aventure sans prendre les précautions dusage. Les conditions changent vite en montagne. Un excès de témérité peut être fatal. Long silence. Cet aveu me réconcilie avec Philippe, le jeune loup délinquant de la meute.
Il est près de 20h00 lorsque je memmitoufle dans mon duvet et près de 23h30 lorsque je me réveille. Incapable de me rendormir, je mhabille et sort prendre lair. Décidément, jen prends lhabitude. Il fait froid cette nuit mais le ciel, encore une fois, est absolument superbe. Je marche pour passer le temps et me réchauffer mais ce n'est pas ainsi que je vais me disposer au sommeil. Je pars masseoir sur un muret de pierres à la limite du pré. Jentends le torrent qui se brise sur les pierres polies par l'eau de la rivière. Je sens le vent froid qui cherche à sintroduire sous mes habits enfilés hâtivement dans lobscurité. Je pense à ceux et celles que jaime tant, qui, à cette heure, vaquent à leurs occupations à lautre bout du monde.
Une kharka est un espace herbeux et humide situé en altitude sur lequel les éleveurs conduisent leurs troupeaux de yacks à la saison chaude. Ces alpages disposent habituellement d'une cabane (yersa) où s'abritent les bergers sherpa durant la saison estivale. Les sentiers d'accès aux kharkas sillonnent les vallées depuis le piedmont jusqu'aux hauteurs. À Dole, la kharka est constituée de plusieurs petits plateaux découpés en prés. S'y trouvent des lodges et emplacements de camping.
La vallée de Gokyo a ceci de particulier que le gain d'altitude y est plus rapide que celui auquel on s'expose en empruntant la route classique des alpinistes. Certains pilotes d'hélicoptère lui auraient même donné le nom de « vallée de la mort » en raison des évacuations d'urgence qu'ils y effectuent. Exagération sans doute. Néanmoins, les trekkeurs empruntant cette vallée ont tout intérêt à planifier leur montée en prévoyant des étapes un peu plus courtes.
Si l'on a couché au bord de la Dudh Kosi (3 500 mètres) à Phortse Thanga plutôt qu'au village lui-même (3 680 m), le gain d'altitude entre cette halte et Dole est important (540 m). À l'arrivée à Dole, il peut être tentant de poursuivre la route vers Lhabarma, Luza ou Machhermo car on dispose habituellement de temps. N'en faites rien disent les experts. Mieux vaut prendre le temps de bien s'acclimater avant de poursuivre la route. Le reste du parcours sera d'autant facilité. Si l'on a dormi à Mong (3 973 m) la veille, la question se pose différemment. Il est possible de poursuivre la route jusqu'à l'un des prochains villages.
Guides sherpa et sirdar
Les porteurs accompagnant les expéditions de trekking font un travail extraordinaire. Ce sont pour la plupart des Rai et des Tamang et non pas des Sherpas. Le mot « sherpa » ne désigne pas un porteur mais plutôt une ethnie. D'ailleurs, la plupart des Sherpas oeuvrant au sein des expéditions de trekking agissent à titre de guide ou de sirdar (chef d'expédition).
L'âme d'un peuple qui trime dur
pour gagner sa croûte
Lors d'une expédition de trekking, la personne qui embauche les porteurs a la responsabilité de s'assurer qu'ils disposent du nécessaire pour affronter les conditions de la haute montagne : bonnet de laine, moufles, vêtements suffisamnent chauds, lunettes de soleil, chaussures adéquates. De nombreux porteurs sont des gens pauvres. Ils portent pour améliorer leurs conditions de vie. Ils se contentent souvent de porter les vêtements qui leur sont donnés par les membres des expéditions au terme de celles-ci, lorsqu'ils ne les vendent pas pour faire un gain additionnel. Plusieurs ne se soucient pas trop des conditions auxquelles ils s'exposent en haute altitude. À la hauteur de Dole, alors que l'on passe la barre des 4 000 mètres, il est impératif de s'assurer que les porteurs sont équipés pour poursuivre la route car les conditions seront de plus en plus rigoureuses.
Dure le travail de porteur
Les porteurs ne peuvent pas se libérer de leur charge comme nous le faisons avec un sac à dos. La charge est beaucoup trop lourde. Ils doivent donc s'accroupir lentement pour déposer leur charge, sans perdre l'équilibre. Ce moment semble particulièrement pénible pour eux. Il nous fait réaliser que sans eux, le rêve passe aux oubliettes pour la plupart.
Étape Phortse Thanga-Dole
Durée : environ 4 heures
Dénivelés : + 370 m / - 40 m
Gîte
et repas : Gyele, Dole
Carte-itinéraire
Phortse Thanga-Dole