Au sommet du col, j'ai grignoté dans le lunch que Jangbu m'a remis ce matin avant de partir parce quil le fallait. Après un temps de repos qui m'a semblé bien court, nous nous mettons en route. Une mince trace dans la neige sétire sur le col. Nous longeons une petite cascade de glace et amorçons la descente dans une pente très raide encombrée de grosses roches à travers lesquelles le sentier se perd.
Là où la pente s'adoucit, quelques porteurs se sont arrêtés pour une courte pause. Je m'arrête aussi et profite de l'occasion pour offrir à chacun une ration de mon mélange énergétique composé de noix, d'arachides, de raisins, de bananes et de pommes séchées. Ils en raffolent. J'essaie de communiquer avec eux en anglais mais ils ne me comprennent pas. L'un d'eux tente de me dire quelque chose que je ne comprends pas non plus. Une autre occasion ratée.
J'aurais tant voulu leur dire combien j'apprécie le travail qu'ils accomplissent pour nous. Sans leur apport, notre trekking dans ces montagnes de rêve n'aurait pas été possible. Comment leur témoigner ma gratitude. Je leur offre mon mélange énergétique qu'ils pourront partager durant leurs prochaines pauses. De toute évidence, ils apprécient le geste. Après quelques instants, les porteurs me saluent en souriant et repartent à petits pas. Les regardant s'éloigner, je narrive toujours pas à comprendre comment ils arrivent à marcher aussi longtemps, sur des sentiers aussi accidentés, avec des charges aussi monstrueuses accrochées à leurs dos.
Le groupe s'est éparpillé. Je descends sur une pente plus aisée, scrutant l'horizon pour apercevoir le hameau où le camp est installé. Point de hameau, point de camp. Seulement un sentier qui s'étire loin en avant. Javance en me traînant les pieds. Étourdi de fatigue, je menfarge dans le moindre obstacle. Je ne vois toujours rien. Je marche encore et encore. Je nen peux plus. Quest-ce que je suis venu faire ici ? Loin de tout. Loin de tous. Pourquoi faut-il se donner tant de misère pour réaliser un rêve ? Pourquoi cette traversée du désert ? Je voudrais une réponse, mais nen trouve pas. This is the longest day in my life. Cest tout ce qui me vient à lesprit. Doux Jésus, on arrive-tu ? NON ! Pas encore.
J'aperçois quelques coéquipiers minuscules cheminant loin en avant. Bifurquant à l'est, je les vois se diriger vers une colline. Non mais ça va bientôt finir ce cirque ? Jen ai assez. Encore cette montée à faire alors que, pataugeant dans un large ruisseau, je n'arrive même plus à étirer le pas suffisamment pour éviter la flotte. Quy a-t-il derrière cette colline ? Petit à petit, je m'en approche. Je m'y engage à mon tour. Quelques coéquipiers m'ont rejoint. Nous nous arrêtons fréquemment. Personne nest loquace. Nous scrutons le paysage. Il y a quelque chose là-bas. Ce ne peut-être que Dzonglha. Il n'y a rien d'autre par ici. La kharka est à peine visible tellement elle est loin. Comme javais besoin de la voir cette kharka minuscule perdue au milieu de ce désert de terre et de pierres monstrueusement beau, malgré tout !
Kharka de Dzonglha au pied de l'Ama Dablam
Les tentes sont montées mais vides. Les porteurs nétant pas encore arrivés, nous navons ni matelas, ni effets personnels. Je suis exténué. Je tiens à peine debout. Jai lair bête ! Il faut que, toute affaire cessante, je dorme un peu. Je cherche un nid. Un vieux matelas de sol, appartenant sans doute à un Sherpa, traîne par là. Voilà que la Providence se manifeste enfin ! Je my étends pour roupiller un petit moment.
J'entends des rires soutenus. Jouvre les yeux pour constater que plusieurs de mes coéquipiers se paient du bon temps à mes dépends. La scène est cocasse. Je me suis endormi à côté dun gros tas de bouses de yacks sans y prêter attention. Je ris un bon coup. Le petit roupillon ma fait du bien.
Les bagages sont arrivés et je me dépêche à faire mon lit. Dès le coucher du soleil, nous allons nous réfugier dans la maison-lodge pour nous réchauffer en attendant le dîner. Ce qu'il y a au menu m'importe peu ce soir. Après le dîner, je pars m'emmitoufler dans mon duvet. Ce soir, mon sac momie, je ladore. Cest ma bulle, ma coquille, ma carapace, ma maison. Rien au monde ne me fera sortir de là cette nuit. Jaime cette extrême fatigue musculaire qui me tient compagnie. Et puis aujourdhui, cétait si beau, si grand, si blanc, si zzz !
Il y a deux petits lodges à Dzonglha. D'aspect rudimentaire, ils semblent perdus sur un petit replat au coeur d'un paysage vaste et sauvage dominé par l'Ama Dablam. On peut établir le campement à proximité des lodges.
Bivouac à Dzonglha
Les infatiguables peuvent poursuivre la route et rejoindre Thuklha (Dughla) ou Lobuche pour y passer la nuit. Il faut prévoir entre deux et trois heures à pas rapides pour se rendre à Lobuche. Il n'est pas recommandé de poursuivre la marche si l'on ne dispose pas du temps nécessaire pour arriver à destination avant la noirceur car la piste est très accidentée par endroit.Les porteurs font un travail exténuant sur les sentiers de trekking. Leur charge est extrêmement lourde. Peu d'entre nous parviendrait à faire ce qu'ils font. Selon lAassociation des porteurs du Népal, une charge normale est d'environ 30 kg. À la vérité, ils transportent la plupart du temps des charges beaucoup plus lourdes pour un supplément de rémunération. Ainsi, durant les saisons de trekking, ils s'assurent d'une rémunération double et même triple à l'ensemble de leur rtémunération annuelle.
Pour se reposer, les porteurs appuient leur charge sur leur bâton de marche en forme de « T ». La déposer par terre et surtout la soulever à chaque arrêt exige trop d'effort. Souvent, les porteurs doivent s'entraider pour parvenir à soulever leurs charges sans perdre l'équilibre.
Etape 2 : Cho La-Dzonglha
Durée : environ 4 heures
Dénivelés : - 600 m
Gîte et repas : Dzonglha
Carte-itinéraire
Thangnag-Dzonglha
Crédits photo
© Daniel Gauvreau (à gauche)
© Daniel Gauvreau (à droite 1 et 2
© Jean-Guy Harrison (à droite 3)