Récit de voyage - Épilogue
Les mois ont passé. Mes souvenirs du Népal m'habitent comme si j'en revenais tout juste. Les superbes paysages himalayens aux lignes brisées et désordonnées ont cédé la place aux formes géométriques citadines toujours prévisibles. La ville est toujours aussi bruyante mais bien commode. Les montagnes d'ici sont belles mais presque sans surprise.
Certains, tentés par l'aventure, m'ont demandé si un voyage comme celui-là « changeait une personne ». Ne nous leurrons pas. Le voyage n'apporte pas davantage que l'aptitude que nous avons déjà à nous ouvrir au monde et à nous mêmes. Les effets du voyage sont à l'image de celui qui l'entreprend et à la mesure des motivations qui l'y poussent. Chez celui qui manifeste déjà une curiosité empreinte d'ouverture à l'égard de la différence, qui sait regarder, écouter et ressentir en prenant du recul par rapport aux filtres de sa propre culture, le voyage suscitera inévitablement des prises de conscience susceptibles d'élargir sa vision du monde. C'est déjà beaucoup.
Ce genre de voyage, s'accomplissant dans un dénuement relatif, comportant une large part d'incertitude et faisant appel à notre capacité à nous adapter et à dépasser nos limites, offre de plus la possibilité, après coup, de prendre conscience de la futilité de bon nombres de nos petits soucis quotidiens. De mieux apprécier la relative facilité que nous offre le fait de vivre dans des sociétés riches, malgré les abus auxquels elles conduisent souvent. Enfin, de reconnaître en même temps qu'il est possible d'être heureux sans l'opulence accompagnant le phénomène de la consommation de masse, l'une des assises de la société occidentale. Les modes de vie et les manières d'être des montagnards népalais, qui travaillent dur et possèdent bien peu, me semblent éloquents à cet effet.
Il faut reconnaître toutefois que sur plusieurs circuits touristiques, le bonheur tout simple des montagnards népalais, axé sur l'appartenance à la communauté et un mode de vie modulé par le rythme de la nature, a commencé à se diluer. La rencontre a inévitablement provoqué la comparaison. Le contact des Népalais avec les riches étrangers sur les circuits touristiques a commencé à changer les choses. En surface pour l'instant, du moins, me semble-t-il. Les vêtements occidentaux et autres gadgets sont de plus en plus populaires, chez les hommes principalement. L'antenne parabolique, l'Internet, le cellulaire s'avèrent déjà bien pratiques dans les villages isolés des moyennes montagnes. Le fond culturel semble peu affecté pour le moment. Pour combien de temps encore ?
On peut le comprendre. Le développement des sociétés humaines, et le progrès social qui l'accompagne, sont souhaitables et même inévitables et peu de modèles se sont avérés viables. Néanmoins, les critiques formulées à l'égard de l'exportation du modèle occidental de développement par la voie de la mondialisation m'apparaissent tout à fait à propos. Non pas quant au fond, car aucune société ne mérite de rester en marge de la marche en avant de l'humanité, aussi imparfaite soit-elle. Il en va autrement cependant pour ses modalités de mise en oeuvre, alors que l'harmonisation du modèle avec les cultures des nations émergentes semble dramatiquement faire défaut... un concept que le monde du business a beaucoup de mal à comprendre, admettons-le.