Lever à 7h00 ce matin. Le soleil, habituellement paresseux derrière ces hautes montagnes, a quand même eu le temps de se hisser au-dessus des crêtes. Il fait agréablement chaud dans la tente. Je peux m'y vêtir en prenant mon temps.
Après le petit déjeuner, pendant que nous lézardons sur la petite terrasse du lodge entièrement exposée au soleil, les porteurs s'activent. L'un d'eux vient chercher mon duffle bag pour le fixer par dessus son doko déjà plein. Il ramasse les bagages de deux autres coéquipiers et les rajoute par dessus. Il s'accroupit, passe le bandeau sur son front et commence à soulever sa charge. Imitant un autre porteur en train d'aider son collègue, je m'approche et tâche de l'aider du mieux que je peux en soulevant son lourd doko pendant qu'il se relève péniblement. Il me remercie avec un large sourire. Pourtant, ce serait à moi de le faire. C'est lui qui se tappera tout le travail aujourd'hui.
On ne parle plus de sahibs ni de coolies aujourd'hui. Mais la nature des rapports entre autochtones et étrangers a-t-elle véritablement changé ? Sans porteurs, point de trekking. Sans trekking, des Népalais en proie à des conditions plus misérables encore. Est-ce se donner bonne conscience ? Qu'en pensent les porteurs ? Je ne le saurai pas. Nous arrivons à peine à parler pluie et beau temps. Inutile de questionner ceux qui les emploient. Ils me donneront le point de vue du business. Je le connais déjà.
Les porteurs se mettent en route. Quelques minutes plus tard, nous emboîtons le pas. Nous marchons à pas rapides sur des sentiers pentus, tantôt caillouteux, tantôt enneigés. Dominé par le Cholatse (6 440 m), le paysage est magnifique. En avant, des pics enneigés découpent le ciel. À main droite en contrebas, un lac aux eaux turquoises superbes, le Chola Tsho. Le regard a peine à se fixer. Comme si ce n'était pas assez, le sentier bifurque à droite et descend pour rejoindre la berge du lac que nous longeons au ralenti pour faire durer le plaisir. Les vues qui se succèdent au fil des pas sont féériques. Y aurait-il, caché quelque part au cur de ces montagnes, un vieux sorcier-magicien s'amusant à changer les décors à chaque détour du sentier dans le seul but démerveiller les randonneurs du toit du monde ?
Lac Chola Tsho
Le sentier débouche sur une arrête surplombant une large vallée. Silence ! Quelle perspective. Nous avons enfin rejoint la vallée de Lobuche. Le toit du monde dévoile ses glaciers, ses sommets enneigés, ses pics acérés, ses arêtes aiguisées. Nous entrons au pays des titans. Le sentier bifurque vers le nord et nous amène sur la voie historique conduisant à l'Everest, celle des alpinistes. Nous marcherons désormais sur les chemins jadis empruntés par les vainqueurs du plus haut sommet du monde, Hillary et Norgay, suivis de tous les autres grands pionniers qui y ont fait leurs marques.
Le sentier longe le glacier du Khumbu du côté ouest. La piste est large et la marche y est relativement aisée. Nous atteignons la kharka de Lobuche où sont regroupés quelques lodges. Le camp est installé sur une étroite terrasse surplombant le sentier juste en face du gigantesque Nuptse (7 861 m).
Après le déjeuner, je pars faire une petite marche autour de la kharka pour changer un peu. Les bâtiments ont une allure rustique, souvent négligée même. La montagne ne laisse aucun répit à ceux qui vivent ici. Dailleurs ce hameau sera en grande partie déserté lorsque lhiver se sera installé pour de bon. Leau de fonte du glacier du Khumbu coule sur un lit de pierres usées en contournant la kharka à l'est. Je peux apercevoir au nord, le sentier que nous emprunterons demain pour rejoindre la dernière kharka. Le souffle court, je retourne au camp. Dès que le soleil baisse, le froid s'installe. Même dans la tente où je me suis réfugié pour m'abriter du vent. Je m'enveloppe dans mon duvet en attendant la soupe.
La nuit est mauvaise. Je me réveille en sursaut bien près de la crise de panique. Je manque dair. Je sais que cette réaction est normale en haute altitude. N'empêche, il faut que je sorte de ce maudit duvet au plus vite mais n'y arrive pas. La fermeture éclair est coincée. Je m'énerve. Jessaie de prendre de grandes respirations. Parvenant enfin à sortir de là, jenfile à la hâte doudoune et tout le tralala, et me précipite dans la nuit. Je fais les cents pas autour du camp pour régulariser ma respiration. La marche m'ayant fait grand bien, je m'assoies sur une grosse pierre au bout de la terrasse sur laquelle sont installées nos tentes. Il fait froid.
Pourquoi suis-je là à grelotter dans le noir loin de tout ? Pourquoi ai-je tant envie de poursuivre la route... coûte que coûte ? Pour voir la montagne certes. Mon aventure himalayenne n'a rien d'une quête initiatique. Pourtant, j'y fais une découverte inattendue. Je marche jour après jour en frôlant les limites de mes capacités physiques. Je n'ai de souci que pour franchir la prochaine pente afin de poursuivre la marche et terminer la journée. Je n'ai pour contraintes que les impératifs du relief. Je passe des heures sans parler. Tout ce dont je dispose pour les semaines à venir tient dans un sac minuscule. J'éprouve un énorme bien-être en faisant ma toilette pourtant avec bien peu. Je vis jour et nuit en faisant corps avec la nature. Je répéte les mêmes routines simples jour après jour. J'ai l'impression d'expérimenter une sorte d'épuration du corps et de l'esprit. Non seulement mon séjour me permet-il de découvrir ce coin du monde. J'y fais en même temps un voyage intérieur. C'est sans doute pour cela aussi que je suis là à grelotter dans le noir. L'aube apportera sont lot de surprises au prix d'efforts qui ajouteront à l'exaltation du rêve devenant réalité. Il n'y a pas à chercher plus loin. Il est temps d'aller dormir !
Me déshabiller, même lentement, m'essouffle. Je m'emmitouffle dans mon duvet et tâche de ne plus bouger. Ma respiration est trop rapide pour que je me sente confortable. Il faut néanmoins que j'arrive à faire comme la momie couchée dans son sarcophage à côté de mon matelat. Car en ce moment, il suffirait de bien peu pour croire que l'on m'a enfoui vivant au fond d'une pyramide au creux de la Vallée des rois.
Au départ de Dzonglha, le sentier grimpe sur des pentes douces pour redescendre puis remonter, traverse des petits replats puis devient plus accidenté et enneigé au gré de la progression.
Départ pour le Chola Tsho
Sur cette première partie du parcours vers Lobuche, le Cholatse (6 640 m) et le lac Chola Tsho volent la vedette. De tous les parcours effectués depuis le début du trek, ce trajet fait sans contredit partie des plus beaux. Beau à en donner le vertige.
Chola Tsho
L'Ama Dablam figure parmi les plus belles montagnes du Khumbu qu'on l'approche depuis le sud ou le nord.
Depuis le sentier menant au Chola Tsho
Étape Dzonglha-Lobuche
Durée : environ 4 heures
Dénivelés : + 230 m / - 130 m
Gîte et repas : Lobuche
Carte-itinéraire
Dzonglha-Lobuche