Un grattement sur la tente suivi d'un murmure... « Tea Sir ». Dunde, un Sherpa dune quinzaine dannées, neveu du chef-cuisinier Jangbu, nous apporte le chiya. Cette boisson, que l'on nous servira à satiété, est faite de thé additionné de beaucoup de sucre et de lait chaud. Suivent les bassines deau chaude pour la toilette matinale. Je fais de mon mieux dans les circonstances.
Tout autour, cest une véritable fourmilière. Alors que Jangbu prépare les dernières rôties, les guides sherpa achèvent de démonter les tentes et préparent les charges pour les porteurs. Tandis quune bonne partie du matériel de camping est acheminée à dos de yacks, sur cette première partie de litinéraire, nos sacs sont transportés par des porteurs.
Partis peu après les porteurs, nous marchons sur un sentier en balcon longeant la rive ouest de la rivière Dudh Kosi, qui sinue bruyamment 100 mètres plus bas en une suite ininterrompue de torrents dun bleu laiteux. Le flanc de la montagne est tapissé de pins et de rhododendrons. À la hauteur de Toktok, la vue sur le Thamserku (6 623 m), loin au nord-est, est magnifique. Après le village de Bengkar, nous traversons sur la rive est de la Dudh Kosi en empruntant un pont suspendu et montons sur Chomoa toujours en longeant la rivière. Forêts de rhododendrons, de magnolias et de conifères se succèdent. Dépassé le bourg de Monjo (Monoj), il faut s'arrêter au check point contrôlant l'accès au Sagarmatha National Park. Sagarmatha est le nom que porte lEverest au Népal. Nous en profitons pour faire la pause.
Une longue descente abrupte et caillouteuse nous conduit au fond de la vallée où coule la Dudh Kosi, que nous traversons à nouveau en empruntant un long pont suspendu. La piste traverse Jorsale (Thumbung), un petit village pittoresque où les lodges semblent particulièrement bien tenus. Jorsale est le dernier village avant Namche Bazar, notre destination aujourd'hui. Le sentier traverse à nouveau sur la rive est de la rivière et longe la berge où nous nous arrêtons pour le déjeuner. Adossé à une grosse pierre, je me repose au soleil pendant que l'équipe d'intendance prépare le déjeuner. Je n'ai pas vraiment faim mais m'efforcerai de manger pour éviter la panne sèche dans la première véritable montée du trek toute proche.
À la file indienne, nous reprenons la route. Alors que la respiration commence à se faire plus régulière, le fameux « deuxième souffle » dit-on, nous devons nous arrêter. Une caravane de dzo peine à franchir un passage mal assuré. Nous poursuivons la montée à travers une forêt clairsemée. À la confluence de la Dudh Kosi et de la Bhote Kosi, une rivière arrivant de l'ouest... vision époustouflante. J'ai l'impression d'être figurant dans un film à la Indiana Jones. Devant nous, une longue passerelle étroite enjambe une gorge faisant plus de 100 mètres de profondeur. De l'autre côté du pont, le sentier semble se perdre dans la forêt.
Pont sur la piste de Namche Bazar
Nous nous engageons sur la passerelle. Elle craque et ondule sous les pas des marcheurs. Déstabilisé par moment, je ralentis le pas et magrippe au câble de suspension latéral qui sert également de rambarde. Mais il ny a pas de temps à perdre. Je repars aussitôt. Je me sens grisé par la succession des images et des sensations qui massaillent de toutes parts. Non, ce n'est pas un film, ni un décor de carton-pâte. Ce pont est bien là sous mes pieds. Justement, finissons-en avant que je nentende le tintement des cloches à yacks annonçant larrivée dune caravane.
Sous un soleil de plomb, nous nous engageons enfin dans la longue montée conduisant à Namche Bazar (Nauche ou Nauje disent les Sherpas). D'abord abrupte, la pente s'adoucit quelque peu à mi-chemin. Nous montons maintenant en lacets à travers une forêt de conifères peu dense, offrant des zones d'ombre fort appréciées. Dans une boucle, lEverest se laisse apercevoir au loin derrière la crête du Nuptse. Cette vue sur lobjectif ultime de lexpédition me fait un drôle d'effet. Est-ce possible ? Il est là, dans toute sa majesté, entouré de montagnes tout aussi impressionnantes. Là où la terre rencontre le ciel. Je réalise en même temps toute la distance à parcourir sur ces sentiers caillouteux, poussiéreux et pentus qui me font de plus en plus souffler.
Dans leffort, le groupe séparpille. La montée est difficile. Mal de tête, étourdissements, fatigue. Sans doute les premiers effets du gain rapide d'altitude. France arrive derrière moi. Mêmes symptômes. Nous avons le souffle court et parlons peu. Le discours est saccadé. Nous repartons et croisons Benoît qui s'est arrêté. Il trouve la montée difficile aussi. Je continue à grimper. Je m'arrête de plus en plus souvent pour reprendre mon souffle. La respiration reste néanmoins haletante. Je me sens fatigué. Je n'arrive pas à maintenir un rythme qui m'éviterait ces trop nombreux « stop and go ». À la vitesse de la tortue, je me traîne les pieds dans cette pente qui nen finit plus. Et pourtant, jen suis seulement à mon deuxième jour de trek, à une altitude dépassant à peine les 3 000 mètres. Ouach ! Quelle folle pensée que celle-là ! Vivement la marche. Je monte et monte encore. Au loin, la vue de quelques maisons me donne un petit regain dénergie. Je presse le pas tant bien que mal !
Arrivée à Namche Bazar
Enfin, le village. Appuyé sur mes bâtons, le souffle court, je regarde Pascal qui m'indique un endroit dans le flanc de la montagne sur laquelle le village est adossé. « Quoi ! On ne s'arrête pas ici » dis-je à Pascal avec étonnement. « Non, répond-il, l'emplacement du camp est en haut sur l'une des petites terrasses que l'on voit sur la gauche. » Hum ! Pourquoi fallait-il aller se percher sur un nid de coucous après une journée pareille. Grimpons qu'on en finisse enfin, me dis-je ! Le pas est lent et je dois marrêter fréquemment. Où est donc passée la forme physique que j'ai développée mois après mois en y mettant autant d'effort ? J'ai peine à grimper. Appuyant plus fort sur mes bâtons de marche, je pense, pour faire diversion, à la chanson de Robert Charlebois Si javais les ailes dun ange. Gauche, droite, encore un petit effort. Jy suis enfin sur cette damnée terrasse. Je massoie lourdement par terre. Long soupir.
Vue en plongée sur Namche Bazar
Les tentes sont déjà installées le long de l'étroite terrasse tout en haut du village. Nos bagages y ont été déposés. Les porteurs et les yacks ont été plus rapides que nous. Comment font-ils enfin ? Assis au bord de la terrasse, les jambes dans le vide, je regarde en bas. Il ne peut y avoir plus belle vue sur Namche Bazar au couchant. Le nid de coucous, cétait donc pour ça !
La première étape de cette journée consiste en une randonnée fort plaisante. Le sentier sinue d'une rive à l'autre de la Dudh Kosi, grimpe à flanc de montagne, traverse des petits villages et conduit à l'entrée du Parc National Sagarmatha.
Ces derniers, plutôt minces et pas très grands, empilent les bagages de deux trekkeurs, parfois trois, sur un doko , une sorte de panier en bambou déjà rempli à ras bord. Une fois les bagages fixés en place avec des bouts de cordes usées et pleines de nuds, ils saccroupissent et, saidant du namlo, un bandeau frontal fait de cuir, de corde tressée ou de tissu passé sur leur front, ils soulèvent leur charge en titubant, puis partent à petits pas. Il est difficile d'évaluer le poids des charges. La norme serait d'une trentaine de kilos. Pour un petit supplément à leur tarif horaire, je crois que plusieurs porteurs portent bien davantage.
Nombreux sont les trekkeurs et les porteurs s'arrêtant à Jorsale avant d'entreprendre la longue montée sur Namche Bazar. On y trouve plusieurs lodges, maisons de thé et petites boutiques.
Jorsale... où il fait bon flâner
Les ponts sur cette partie de l'itinéraire ont, pour la plupart, été refaits. On peut voir à l'occasion ce qui reste des vieux ponts malmenés par la crue des eaux et le débordement de lacs glaciaires de même que quelques passerelles qui ont fait leur temps.
D'une hauteur impressionnante, le pont à la confluence de la Dudh Kosi et de la Bhote Kosi a été construit par les Suisses en 1989. C'est par ce pont que l'on accède au Khumbu et c'est ici que commence la longue montée sur Namche Bazar.
Sur le pont de Namche...
l'on n'y danse pas !
Chez de nombreux trekkeurs, les premiers symptômes généralement associés au mal d'altitude apparaissent souvent lors de la montée sur Namche Bazar. Lorsque l'on part de Phakding le matin, le gain d'altitude est considérable durant cette journée : 800 mètres dont 600 dans cette seule montée (Jorsale-Namche Bazar). Il est judicieux de faire une halte prolongée à peu près à mi-chemin dans la côte tout en profitant d'une vue lointaine sur l'Everest si le ciel est dégagé. Il y a habituellement attroupement à cet endroit. À noter qu'il n'y a aucun lodge ni teahouse entre Jorsale et Namche Bazar.
Les murs mani (mendan) constituent l'un des éléments typiques du paysage dans les régions bouddhistes. On les rencontrent principalement à l'entrée des villages. Les mendan étant sacrés, on doit toujours les contourner par la gauche. Passer à droite est offensant pour les Sherpas. Pour un Sherpa, contourner un mur mani équivaut à réciter toutes les prières gravées sur chacune des pierres qui le composent. Celui qui y a posé sa pierre gravée (mani) bénéficie aussi des prières de tous ceux qui contournent le mur.
Étape Phakding-Namche Bazar
Durée : environ 6 heures
Dénivelés : + 820 m / - 40 m
Gîte
et repas : tous les villages
Carte-itinéraire
Phakding-Namche Bazar